Après de longues fouilles, me voici de retour avec un récit retracant la rencontre d'un soldat avec Le Siridar. Bien que cette rencontre ne tourna pas en la faveur du soldat membre de l'ordre du Dragon, ce texte montre comment Crescense est percu (et décrié par les membres de son ordre pour la même raison) dans la Magiocratie. En effet, Lors de batailles, Crescence a toujours sonné une ode funèbre pour ses ennemis. Une manière de montrer que malgré leurs relations destructrices, il regrettait les défunts ennemis jonchants le sol souillé de leur sang autant que du notre.
Crescence a toujours été considéré comme un grand Chevalier humaniste et le texte ci-dessous rapporte à vos yeux l'un de ces faits.
L'air qu'il affectionnait particulièrement lors d'oraisons funèbres tragiques peut être entendu ici :
http://www.morholt.be/crescence/ode.mp3C'est d'ailleurs l'un des morceaux qu'il ma autorisé à jouer. Fier d'avoir recu son instrument sous forme d'héritage onirique, je le jouerai certainement lors de la cérémonie en préparation...
Disparition de l'Ordre du Dragon
Nous sommes dans cet extrait en 1607, toujours dans les landes désolées bien
plus au nord de Taarmel. De l'Ordre du Dragon nous étions 26, encore et
seulement, faisant front sur la Colline de la Croix en une ligne de
silhouettes sinistres et en armure épaisse. Emerald, notre meneur d'hommes
maintenait la bannière de Dragon flotter impétueusement au vent. Un jeune
milicien au drapeau blanc s'en allait rejoindre la centaine de soldats
sudistes à l'autre bout de cette plaine serti de quelques feux. Le jeune
soldat était venu parlementer avec nous au nom de cette troupe nous faisant
face. La recommandation était somme toute très simple : l'Ordre du Dragon
offrirait-il le manche de l'épée aux Arkhantes comme signe de soumission ?
La réponse, portée à ces soldats de l'Archimage, serait simple et sans
équivoque pour nous : l'Ordre du Dragon ne servirait nul autre que lui-même.
Ni le Prince d'Umath et les armées du Nord, ni l'Archimage et sa
Magiocratie. Nous étions libres et indépendants, sans allégeance.
Selon les lois insidieuses de la guerre, si nous ne servions pas un camp, c'est
que nous devions soutenir l'autre. Ce que nous savions, tous, c'était qu'à
présent nous serions pour eux des ennemis, et que les soldats arkhantes
allaient nous assimiler à des traîtres et nous exterminer par un caprice de
sûreté. Plus assez nombreux, nous étions 'enfin' une proie envisageable pour
les troupes qui estimaient que trop longtemps nous sommes intervenus sur
leurs plates bandes.
Le temps s'écoula, et ce qui était à prédire se déroula : les cents hommes
se mirent en branle vers nous, arme au devant, dans l'unique objectif de
nous décimer. Nous représentions un danger facilement annihilable.
Le tragique de cette icône, c'est que nous n'étions que 26 car déforcés
suite à la perdition de nombreux des nôtres, près de cinquante, dans un tout
récent et violent affrontement qui nous opposa à une troupe du Nord. Elle
fut bien trop nombreuse et puissante pour notre groupe. Et usa de cruelles
magies. Cette armée s'en allait prendre des innocents d'un long convoi d'une
colonie arkhante à revers. Nous les avons protégés -à leur insu- car les
meneurs sudistes refusèrent de nous écouter en regroupant leurs forces sur
les lignes arrière. Nous dûmes faire front tout seul. La troupe nordique fut
heureusement freinée par les nôtres, mais à quel prix pour l'Ordre du Dragon
qui perdit tant de ses frères pour sauver ces arkhantes insouciants?
Les militaires de ces mêmes arkhantes hostiles qui nous faisaient à présent
face sur la plaine en s'approchant indubitablement afin de nous exterminer
alors que nous n'avions même pas pansé nos nouvelles plaies.
- Nous protégeons leurs innocents, et voilà que leurs charognes s'avancent
!, dit Emerald. Si nous devons nous soumettre, Il faudra qu'ils nous forcent
à nous mettre à genoux. Et de cela je doute qu'ils y parviennent, car nous
sommes fiers, et libres. Si nous devions nous soumettre, nous mourrions dans
notre âme. »
Le silence gagna nos cours, notre résolution croissait. Nous savions ce que
nous avions encore à faire pour assumer notre rôle et honorer cette liberté
pour qui tant des nôtres avaient combattu.
Je me suis retourné vers les frères Wilhelm et Alric restés aux aguets loin
derrière nous. Je leurs fis un signe distinct et clair : fuir dans les bois.
Ces deux-là n'avaient pas à payer notre tribut, à porter notre fardeau. Nous
seuls, Ordre du Dragon, nous battrions pour notre délivrance. Je leur fis
mes adieux d'un long regard et d'un sourire serein, et je sus en les
regardant que ma cause était juste, car ils représentaient tout ce pour quoi
nous revendiquions notre indépendance. Ils ne devaient pas comprendre nos
raisons, le sens de notre lutte démente, mais qui le pouvait ?
Puis alors, lentement, tous, nous fîmes glisser notre lame hors du fourreau
dans un bruit grinçant. L'épée brilla d'une lueur sombre.
Emerald entama le chant d'une voix mélancolique, fixant les ennemis
s'approchant.
- Ici je revois mon père..'
Nous poursuivions aussitôt sa prière d'une voix unie.
- .Ici je revois ma mère, et mes sours et mes frères,
Ici je revois la descendance de mon peuple et de mes ancêtres me guider au
Commencement,
Ils acceptent que je retrouve ma place parmi eux, en la Vallée des Ombres,
Où le valeureux pourra vivre...l'éternité ! »
La lente prière envoûtant nos sens, je soufflai avec force dans le grand cor
et la vallée me sembla trembler lorsque mes frères d'armes firent de même.
Emerald s'avança de trois pas, faisant face à la centaine de soldats de la
Magiocratie en les saluant de sa lame posée au front. Puis hurla haut et
fort et chargea sans espoir de vaincre. Et nous fîmes pareil, car tel aurait
été l'unique destin de l'Ordre banni du Dragon. La course fut rapide, et
sous une telle tension nous n'haletions qu'à peine. L'épée se dressa au ciel
avant de s'abattre, la lutte fut rigoureuse et la tempête se leva. Deux
vagues s'éclaboussèrent en des hurlements métalliques.
Nous étions seuls maîtres de notre Fortune.
Nous en fîmes tomber tant, abattant l'adversaire sans la peur de perdre.
Emerald affronta le grand chevalier adverse, mais son armure fut
transpercée. Le meneur succomba à mes pieds, sans le souffle, et cela
amenuisa toute notre espérance. La tête du Dragon était tranchée.
Quelle lutte perfide.
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J'ai ouvert les paupières, mais le regard est resté trouble, balayé par un
brouillard funèbre. Une soif de vie m'étouffait brusquement. La gorge
asséchée, ma langue a cherché le sel de l'eau sur mes lèvres écorchées. Mais
pour seul nectar je ne pus goûter qu'à mon propre sang. J'étais immobile,
allongé à terre, et flanc douloureux percé d'une lance brisée. Je bougeais à
peine mes phalanges, écartées et tremblantes. J'avais égarée mon épée, brisé
lors d'un coup trop violent. L'armure que je portais était à présent trop
lourde et m'empêchait de me redresser. A mes côtés se trouvait mon cor,
espoir pour me sauver, mais je ne pouvais tendre ma main pour l'atteindre et
abandonnai toute foi d'y souffler pour avertir des pèlerins de ma présence
afin qu'ils me soignent. J'étais condamné.
L'odeur de mort régnait autour de moi, brumes terribles portées par une
brise lugubre. Autour gisaient centaine de cadavres, dont tous mes frères
d'armes.
La lutte avait été longue, trop longue, et j'ai succombé. Y avait-il un
vainqueur, étions nous les vaincus ?
Puis, perçant le voile nébuleux qui veloutait le champ de bataille
rocailleux, une silhouette angélique fit son apparition, obscurcie d'abord,
pour s'avancer et se découvrir à mon regard. J'ai cerné l'éclat de lumière
dans ses yeux, la bonté dans ses gestes. Il était un Siridar, un Chevalier
de la Magiocratie brave comme nul autre, et s'approcha de moi sans me
remarquer. Il était de la beauté d'un puissant destrier blanc. Il semblait
ne pas avoir vu que j'avais survécu à ce massacre. Allait-il m'achever s'il
m'apercevait ? Je fis le moins de bruit possible.
Il s'agenouilla, sa lourde plate d'argent ne lui inspirant aucune
difficulté. Il agrippa sa cornemuse qui pendait à sa selle.
- Laissez-moi vous accompagner dans la Vallée des Ombres, dit-il
mélancoliquement, au sombre pays des valeureux guerriers trépassés au
combat. »
Les notes mélodieuses résonnèrent alors autour de moi, bercèrent le sommeil
éternel des corps inertes dans ce tableau tragique. De sa voix douce, le
chevalier appelait aux portes du royaume céleste à s'ouvrir et nous laisser
pénétrer le domaine sacré de son requiem languissant. Le Siridar semblait
maître d'armes, preux combattant, mais ses doigts virevoltant trahissaient
sa sensibilité aux arts. Il devait manier aussi bien la lame qu'il jouait de
l'instrument.
L'Ordre du Dragon était anéanti. La douleur dans mon ventre s'était
atténuée, alors que je fermais les yeux une dernière fois. Je sentais mon
visage pâlir, le sang séché sur la peau froide. Je m'envolais.
Mais alors que je sombrais, le Siridar cessa de jouer son ode funèbre,
ultime hommage ironique à ceux que les siens avaient massacrés.
Que fit-il ensuite, je ne le sais. Eut-il conscience que je l'avais entendu
? Il parti comme il était venu laissant place à ses hommes. C'est que mon
souvenir s'est arrêté sur le couchant écarlate d'un soleil de l'aube rouge
qui portait la couleur du sang versé, et que j'ai sombré sur ce que je
pensais être un phare menant au chemin des morts. Des miliciens commençaient
à fouiller les cadavres m'entourant et je ne pus réprimer un cri lorsqu'ils
me retournèrent.
L'un d'eux, méprisant, m'agrippa discrètement le visage de sa main
ensanglanté, et me cracha au visage :
- Tu auras à vivre ! Tu es le dernier de ces chevaliers au dragon misérable,
héritier d'une caste maintenant disparue. Sache-le, ils seront tous tombés.
Alors vois ton écu au blason du Dragon que tu portais : ne le desserve plus
car il a péri de nos mains, et sers-t-en pour te souvenir des maux et
l'affliction
qui imprègnent cette lutte de votre vaine liberté. »
J'ai sombré sur ces paroles, dévoré par la douleur lancinante, et puis le
néant.
Je me suis éveillé dans le campement d'une colonie de soldats Arkhantes, à
l'abri
de toute escarmouche. La première chose que je perçu à mon réveil fut le
blason du Dragon Rouge sur mon écu. Que je fus idiot de croire alors m'être
réveillé dans l'autre monde parmi les miens à cette vision symbolique. Au
contraire, vivant, je me retrouvais seulement devant une emblème qu'il me
faudrait oublier à présent. Ou honorer..
Et A ce jour, le Siridar, je ne le revis jamais et je serais bien en peine
de dire à quoi ressemblait son visage.